Frédéric COCHET-FORTHUNY -1895/1919-Combattant de la Grande Guerre.

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D’après la documentation mise à disposition par le colonel Gabriel PORCHEROT, membre de la famille.


1ère partie : DE L’HUMANISTE AU COMBATTANT


Frédéric est fils de Pascal Cochet-Forthuny, journaliste au  « Matin », écrivain, auteur dramatique, peintre, critique d’art et médium (La première manifestation de son don de clairvoyance a lieu en 1911. Il se développera après la mort de son fils en 1919)

Faisant partie de la classe 1915, Frédéric part le 17 décembre 1914 pour accomplir sa période d’instruction militaire au 160e régiment d’infanterie de Nevers (29e compagnie).

Il sera  « poilu » de 1914 au 22 août 1915.

Le 19 décembre 1914 il écrit à ses parents :

« … Le matin, à sept heures, le clairon nous réveille… Dans le ciel, Vénus brille comme étoile du matin et me rappelle mes nuits d’observation. Ce sera ma meilleure amie. »

Frédéric était membre de la Société astronomique de France.

Peu de temps avant, il avait écrit à Camille Flammarion :

« Je dois vous remercier, cher Maître, avant de partir dans cette guerre où la France m’appelle, des douces heures où mon imagination s’élança de cette Terre pour planer, loin dans l’infini, et de cette noble philosophie qui m’a permis de sortir du cercle malsain où tombe la jeunesse de nos jours, J’espère que si, dans cette guerre inhumaine et barbare, je suis désigné par la Mort, le beau rêve de Lumen se réalisera,,, » [cf :Lumen-Histoire d’une comète dans l’infini- Camille Flammarion]

 

Cet amour du ciel aura un impact sur sa carrière militaire.

 

A Four-de-Vaux Frédéric avoue à son lieutenant qu’il préfère étudier l’astronomie plutôt que la théorie militaire pendant ses temps de repos.

C’est dans le cours du mois de janvier 1915 que Frédéric commença à fixer ses méditations sous une forme nouvelle, en de petits tableaux auxquels il donna le nom de Mosaïques de nature.

 

PREMIERE MOSAIQUE DE NATURE

            « Dans le ciel pur où le safran domine, de nombreux rayons d’argent se fondent et donnent à cet ensemble immense une transparence inexplicable. La voûte céleste s’arrondit comme une coupe de cristal jaune. Dans ce vase brillant est suspendu, par des fils invisibles, un léger croissant de lune légèrement incliné qui glisse avec lenteur et par moments s’éclipse derrière des nuées vagabondes. Sur le côté Jupiter brille et les deux astres s’harmonisent mutuellement, Un long nuage noir serpente dans toutes les directions en attendant l’instant de sa destruction subite. Je suis heureux, ému de voir Phoebé la belle apparaître sous sa forme la plus délicate. Mais lorsque mes regards contemplent Jupiter notre frère, un désir irrésistible m’attire vers lui, car il y a huit lunes qui brillent dans son ciel.

            … Au lointain, les soldats reviennent, et leurs cris m’annoncent que le vin du pays est bon. »

 

5février.

« J’écris d’autres petits « tableaux de la nature ». Les couchers de soleil illuminent tous les soirs le ciel, et les nuits ressemblent à un champ de blé où chaque grain serait un soleil. »

 

Frédéric écrira neuf Mosaïques jusqu’à son départ pour le front.

Il quitte Nevers le 6 avril, comme volontaire, et part vers Paris, Dunkerque et la Belgique,

 

7 avril

« Je roule lentement vers une destination mystérieuse. Le cœur gros de vous laisser tous les deux dans une énigmatique incertitude : le destin seul la résoudra. Lentement la nuit recouvre la terre. Pauvre terre ! Elle doit souffrir de la gigantesque tragédie qui détruit ses richesses, extermine l’humanité pensante qui comprend ses beautés. Il vous faudra de la force d’âme pour supporter ces pénibles épreuves. Moi, je vais semer la mort avec crainte de frapper. Je ne me connais pas d’ennemis. Le pardon est mon âme unique. Après ces heures terribles, le retour sera joyeux ; la maison familiale sera pour nous un Temple de Bonheur.

Après Dunkerque et Oostcapelle : Wormhoudt. »

 

20 avril 1915 – Aubigny – Arrivée au front

« Je cantonne à quatre kilomètres de l’ennemi… Les insectes ignorent les combats qui se déroulent près d’eux et vivent leur courte existence en paix…  Nous autres, qui possédons l’intelligence, semons la mort en attendant la nôtre. »

 

21 avril

« Hier, une centaine de camions arrivèrent et nous prirent : ils roulèrent toute la nuit… Le sourd grondement des canons se faisait entendre : de multiples fusées s’élançaient à l’assaut du ciel. Le spectacle était très beau, mais bien triste… Je suis en troisième ligne. »

 

23 avril – Le baptême du feu

« Je suis en deuxième ligne. Les obus passent sur nos têtes et éclatent dans les plaines. Pendant la nuit, nous faisons des travaux de défense, à deux cents mètres des premières lignes. On ne parle pas, mais notre silence est troublé par les balles qui sifflent, les obus qui explosent avec des bouquets de flammes, le bourdonnement des canons qui lancent sur les villages des obus de 105. On a beau ne pas avoir peur, lorsqu’on pense à sa mère et à son père la crainte vous prend… Malgré toutes ces horreurs la nature reste calme, le soleil passe sur tant de crimes : il se couche, dédaigneux des bassesses humaines. C’est ainsi que j’ai reçu le baptême du feu. »

 

Le 27 avril, devant La Targette, Frédéric écrit sa dixième Mosaïque de nature.

 

Le 3 mai

« … On a formé des équipes de grenadiers ayant comme fonction, après le passage de la charge, de « nettoyer » la tranchée avec des grenades à main…

Au lendemain de cette guerre, qui pourra parler d’humanité ?…Tous les infiniment petits qui peuplent la nature, dans leur lutte pour la vie, sont plus beaux et plus nobles que nous !… »

 

Le 7 mai, au pied du mont St-Eloi, il écrit sa onzième Mosaïque de nature.

« … La lune plane, et ses rayons caressent sur la terre les grands arbres qui élancent leurs branchages vers elle. Sa faible lumière éclaire cette nuit : elle est témoin de l’agonie de bien des âmes qui souffrent. Son disque d’or est un miroir où se reflète l’histoire future de notre humanité…  toujours elle verra l’orgueil et la folie, maîtres de nos ambitions…

Il en vient même à souhaiter « que vienne le jour où, sans pardon, tout disparaîtra pour l’éternité ! »

 

Quelques jours plus tard, il est blessé au bras droit à la bataille de La Targette/Neuville-Saint-Vaast et est transféré à l’hôpital militaire n°59 de St-Quai-Portrieux (Côtes du Nord)  où il fête ses vingt ans le 14 mai.

« Quelle terrible chose que la guerre !… »

 

Le 20 mai, il relate dans une longue lettre cette terrible bataille.

« … Première, deuxième et troisième lignes ennemies. Des cadavres allemands et français. Autour, des bras, des têtes, des jambes, des corps à moitié enterrés…

            … Après une heure de repos, un sergent vient me désigner, avec un camarade, pour une corvée d’eau dans Neuville. Mais nous n’avons pas fait dix mètres qu’un feu de salve nous atteint… Le camarade a reçu deux balles dans la cuisse. Je suis touché à l’avant-bras droit d’une balle qui, trouant et brûlant ma capote au ventre, a pénétré dans ma manche. D’autres trouent la capote, la visière du képi, coupent la lanière de mon fusil, perforent mon bidon et mon quart.

Je m’aplatis sur la route et je rampe jusqu’à une meule de paille, derrière le boyau…

            … En culbutant dans les trous d’obus, nous arrivons à proximité du village sans avoir été touchés, quand il prend fantaisie à une marmite de tomber près de nous. Elle nous lance à cinq mètres, nous laisse assez étourdis et surpris d’un saut périlleux sur lequel nous ne comptions guère. Je me retrouve dans un trou d’obus, près d’un Allemand blessé : nous échangeons à boire et à manger… »

 

Frédéric quitte l’hôpital le 7 juin et part en traitement à Ville-Evrard jusqu’au 22 août, puis en convalescence jusqu’au 23 septembre. Durant cette période, il écrit 7 Mosaïques de nature.

Au terme de sa convalescence, il devra retourner au front.

 

QUATORZIEME MOSAIQUE DE NATURE – 30 juin

 

« A l’heure où le flambeau de la science projette sa lumière dans les abîmes les plus reculés, dans les gouffres obscurs qui entourent le monde, l’humanité déchaîne sur la terre un orage tout rouge de sang.

            A l’heure où, lentement, le voile sombre qui nous environne se soulève et nous laisse entrevoir les rapports encore inconnus entre l’homme et la nature, la sauvagerie antique, les hordes d’Attila renaissent et couvrent notre monde d’une honte éternelle.

            A l’heure où la lumière sacrée de l’esprit a dévoilé les lois qui régissent l’atome sur lequel nous vivons, un vent de folie a soufflé sur l’Europe avec une rage féroce.

            A l’heure où la clarté qui émane des centres de civilisation se fond avec la lumière divine qui inonde les mondes, des nations, des races s’entrechoquent, et, dans cette pression, le spectre de la mort a jailli. Tuer est le seul mot : le plus fantastique, le plus horrible qui puisse exister… et tous les êtres le prononcent… »

 

             Pourtant Frédéric ne veut pas rester « les pieds dans la boue ». En cette fin d’année 1915, il décide de voler comme les oiseaux, de devenir pilote d’avion…

 


 

Fin de la première partie.

A suivre :

2ème partie : Un pilote qui avait du talent