Louis-René VIARD : La Campagne de France de 1914.

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Conférence faite en 1920 par le Général L.R. VIARD, commandant le centre d’instruction de Rovno, aux officiers polonais du Centre d’Études Militaires.

 TITRE : Causes lointaines et immédiates – La mobilisation en France et en Allemagne

Messieurs,

La conférence que je vais avoir l’honneur de traiter devant vous aujourd’hui, concernant la guerre engagée par l’Allemagne contre la France en 1914, du début des hostilités jusqu’à la bataille de la Marne, vous montrera, à vous qui connaissez bien les Français, qui vous aiment comme vous les aimez, qu’il y avait encore et qu’il y aura toujours des frontières du cœur; qu’à cet abîme de la guerre, où tout sombre, il ne faut pas courir à l’aveugle, mais que si l’on y est poussé, ce fût notre cas, il s’y faut jeter tout entier, comme le « CURTIUS » antique; et que si le destin des batailles se règle, plus qu’à demi, dans les longs soins qui les précèdent, l’unique secret de la victoire, c’est la volonté de vaincre.

C’est la volonté de vaincre, Messieurs, qui donna au maréchal FOCH sa colossale victoire en novembre 1918.

Ceci dit, j’aborde mon sujet.

 

L’Allemagne, n’est pas, comme la France, une nation complète, ayant un lointain passé, une gloire et des aspirations communes, une douceur de vivre dans un pays qui se suffit à lui-même entre des frontières naturelles.

La Prusse, qui a uni l’Allemagne par la force, est, non pas une expression géographique, mais une création artificielle devenue un État par la plus rude des disciplines militaires. Un peuple composite et frustre sur une terre absolument ingrate : voilà une des raisons de cette jalousie constante de la Prusse à l’égard de notre riche et beau pays de France, mais aussi une fatalité qui obligera la Prusse à une lutte sans trêve pour la vie matérielle et politique.

Après l’épreuve d’Iéna en 1806, du malheur naquit l’union. De toute l’Allemagne viennent les organisateurs, STEIN, HARDENBERG, GNEISSNAU, BLÜCHER, tous de pays différents, mais soulevés d’une même espérance.

L’université de Berlin devient la « garde du corps intellectuelle des Hohenzollern », elle s’unit à la force prussienne.

Toute l’Allemagne, par les succès de la Prusse, devient une Prusse agrandie, avec les mêmes doctrines de violence, dont la science moderne a perfectionné les instruments de guerre.

La guerre est sainte, dit de MOLTKE, elle empêche l’humanité de tomber dans le matérialisme, et le Kaiser tient « sa poudre sèche et son épée aiguisée ». Le Kronprinz à son tour glorifié dans le livre l’Allemagne en armes : « notre bon glaive allemand pour notre place au soleil ». Et BERNHARDI écrit l’évangile militaire allemand. La guerre pour lui, « est un devoir et une idéale nécessité ». Ailleurs, il écrit férocement :

« Il faut faire à la France une guerre au couteau qui anéantira pour toujours sa situation de grande puissance et qui entraînera sa disparition et son asservissement définitif. »

Cette idée est telle que, dès le début de la campagne dans les Vosges, le général allemand STENGER, pour ne citer que celui-là, parmi tant d’autres, prescrit à ses troupes de ne laisser derrière elles aucun Français vivant, blessé ou prisonnier, car selon la parole de GUILLAUME II, l’armée allemande est «  le bloc de granit sur lequel le bon Dieu pourra terminer Son œuvre de civilisation du monde ».

En effet, Messieurs, l’Allemagne croit non seulement à la nécessité et à la sainteté de la guerre, mais à la mission divine de la race germanique.

Les historiens et les philosophes allemands ont alors défini avec un orgueil sans frein cette mission providentielle.

« L’Allemagne, dit le professeur HUMME, a pour mission de rajeunir l’Europe. » La race latine étant à bout de force, l’Allemagne doit être le noyau de l’Empire d’Occident.

Les succès prodigieux de 1866 et de 1870 et la formidable prospérité économique qui a suivi hallucinent complètement l’Allemagne : elle ne pourra plus désormais tolérer qu’on s’oppose à ses vues. Elle arrive à 68 millions d’habitants par une progression constante alors que la France reste stationnaire. L’Europe est trop étroite pour la contenir, elle débordera et organisera le monde, car l’humanité entière doit profiter de la puissance d’organisation matérielle et spirituelle de l’Allemagne et de sa « Kultur » ; c’est une mission divine qui doit s’exercer fatalement.

Mais le monde, heureusement, va opposer partout des résistances. Après le traité de Francfort, l’empire allemand, jaloux du redressement de la France, cherche la guerre en 1875 et en 1887, mais la France est armée et soutenue.

Après le Congrès de Berlin de 1878, où BISMARK se sert de l’Autriche pour agrandir dans les Balkans le domaine de l’Europe Centrale germanique, la Triple Alliance se forme en 1882 entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie ; mais voici bientôt devant ce bloc un autre bloc qui se dresse, la Triple Entente. La France isolée a dû en effet chercher le secours de la Russie elle-même menacée dans son influence balkanique par l’Allemagne ; toutes deux s’entendent en 1891 et s’allient défensivement en 1894.

La France poursuit sa politique d’entente, elle traite avec l’Angleterre en 1904 et se rapproche de l’Italie en 1902.

En 1906 et en 1912, Lord HALDANE est envoyé à Berlin par Édouard VII pour traiter de la limitation des armements ; il échoue. Sir Édouard GREY tente de rapprocher les deux groupements européens. Peine perdue, mais par contre, l’attitude de l’Allemagne est tellement provocante que le monde se met en garde.

Avec une prodigieuse rapidité, l’Allemagne organise une flotte. «Notre avenir est sur la mer. » avait dit le Kaiser. Il y trouve l’Angleterre, maîtresse des mers, et les nuages s’amoncellent. Tardivement, l’Allemagne cherche des colonies : c’était sa douleur de voir la France et l’Angleterre dotées de vastes terres coloniales et la Hollande et la Belgique en posséder trop pour leur importance européenne.

L’Allemagne lance partout ses tentacules.

Une tentative de main- mise économique sur le Venezuela échoue, car les États-Unis se sont réunis.

En Afrique du Sud, un essai contre l’œuvre anglaise n’a pas plus de succès. En Perse et en Turquie, l’Allemagne se heurte à la Russie, à l’Angleterre et à la France.

Le Kaiser, protecteur de l’Islam, tente vainement des soulèvements contre l’Angleterre en Égypte et dans l’Inde, contre la France dans l’Afrique du Nord. Son attitude brutale au Maroc (Sa visite à Tanger en 1905- Le coup d’Agadir de 1911) lui retire l’estime mondiale et rapproche encore la France de l’Angleterre.

La politique du ventre n’a pas réussi. Il ne lui reste qu’une solution : attaquer et anéantir la France, la Russie, l’Angleterre. Il n’attend plus que l’occasion favorable.

L’occasion, Messieurs, la voici :

L’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche à Sarajevo, le 28 juin 1914, se présentait comme un évènement tout à fait susceptible de déclencher la guerre.

L’Allemagne parvint facilement à convaincre son « brillant second » de s’en emparer et, dans la cohue de l’Europe, de jeter brusquement l’alarme par un ultimatum. Le choc des Chancelleries s’ensuivant, la guerre était fatale.

Elle fut décidée, avant toute discussion diplomatique, au conseil secret de Postdam, le 5 juillet. von MOLTKE et von TIRPITZ, les ambassadeurs, les grands banquiers, les directeurs de chemins de fer et les chefs de l’Industrie étaient présents. Le Kaiser leur dit :

« Êtes-vous prêts pour la guerre ? »

Tous répondirent affirmativement, sauf les financiers qui demandèrent deux semaines pour négocier leurs valeurs étrangères et contracter des emprunts.

Voyons maintenant les faits.

La Serbie, qui avait vu dans l’annexion de la Bosnie par l’Autriche en 1908 une atteinte à ses aspirations légitimes de reconstitution nationale, s’était trouvée, à la suite des guerres balkaniques, considérablement agrandie. L’Autriche, qui rêvait Salonique, en fut déçue et le germanisme tout entier se trouva refoulé de la péninsule. D’autre part, l’Empire austro-hongrois, qui ne compte que 12 millions d’Allemands et 10 millions de Hongrois contre 25 millions de Slaves, se rendit compte que ses populations slaves du Sud allaient se sentir attirées vers une Serbie victorieuse. Dès lors, le désir d’asservir le vaillant petit peuple Serbe grandit en Autriche. Mais la Russie, protectrice du slavisme, veillait.

Or, l’assassinat de l’archiduc FRANÇOIS – FERDINAND avait soulevé une réprobation universelle et une demande de l’Autriche pour obtenir de la Serbie le châtiment des coupables, et des garanties contre toute agitation sembla légitime.

Mais l’Europe ignorait que les deux empires du Centre avaient déjà trouvé là l’occasion unique de déchaîner le conflit et en pesaient les chances, alors que les Chancelleries étaient en vacances.

En effet, jamais plus on ne trouverait si belle occasion.

La Russie était en pleine grève et commençait à peine une réorganisation militaire qui rendrait la guerre difficile deux ans plus tard. La France s’était bien réveillée de sa torpeur pacifiste en adoptant la loi de trois ans, mais par contre elle n’avait pas d’artillerie lourde. L’Angleterre se débattait dans la question de l’autonomie irlandaise, du « Home Rule », et la Serbie était affaiblie par deux guerres successives.

Comme vous le voyez, Messieurs, le moment était bien choisi par d’autant mieux qu’elle venait d’atteindre à l’extrême sa puissance militaire.

Pendant la tension diplomatique, deux idées sont à retenir : l’Allemagne écarte les chancelleries qui veulent tenter une médiation et fait la sourde oreille, voulant laisser à l’Autriche le temps de frapper la Serbie ; enfin les deux Empires cherchent à ne pas s’aliéner l’Angleterre.

L’ultimatum autrichien du 23 juillet à la Serbie, dont la teneur était approuvée par l’Allemagne, comporte à dessein des conditions inacceptables et n’assigne que quarante-huit heures de délai. La plupart des puissances ne sont averties de l’ultimatum que le 24 par une circulaire de l’Autriche et il faut une réponse de la Serbie le 25, à 6 heures du soir.

Sur les conseils très sages de la France, de la Russie, de l’Angleterre, la Serbie déclare se soumettre : dissolution des sociétés de Défense nationale pouvant agir contre l’Autriche, modification de la loi sur la presse, renvoi des fonctionnaires dont la propagande sera prouvée. Quant à la participation dans l’enquête de policiers autrichiens, la Serbie demande une explication, craignant une ingérence politique susceptible de la rendre vassale de l’Autriche. Si l’Autriche n’est pas suffisamment satisfaite, on s’en remettra au tribunal de la Haye ou aux grandes puissances.

Mais selon les instructions, le ministre d’Autriche déclare immédiatement la réponse serbe insuffisante et demande les passeports. C’est l’agression préméditée.

Seulement, la Russie veille sur les Slaves : si la Serbie tombe sous la domination autrichienne et germanique, c’est l’équilibre des Balkans rompu au profit de l’Autriche et une humiliation pour la Russie ; l’écrasement de la Serbie ne peut être toléré.

Mais l’Allemagne va contester à la Russie le droit d’intervenir ; le 24, M. de SCHOEU dit à M. BIENVENU-MARTIN que l’intervention d’une autre puissance aurait des conséquences incalculables et le chancelier avertit les gouvernements confédérés que si la Russie intervient, il en résultera une guerre européenne.

En même temps M. de SCHOEU demande à M. BIENVENU-MARTIN de peser sur la Russie pour empêcher son intervention ; le but est évident : laisser à l’Autriche le champ libre contre la Serbie. Il va même jusqu’à demander que M. BIENVENU-MARTIN, par une note à la presse, assure que la France et l’Allemagne recherchent « dans l’esprit le plus amical » les moyens d’assurer la paix : c’était chercher, vous le comprenez, Messieurs, la rupture de notre alliance au profit de l’Allemagne.

En regard de cette tentative déloyale, l’Angleterre propose la médiation de quatre puissances : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre ; refus de l’Allemagne, alors que l’Autriche, revenant sur son geste impératif, semblait disposée à prêter l’oreille.  En même temps, la Russie propose à l’Autriche de causer directement : nouveau refus de l’Allemagne qui trouve que ce serait conseiller à l’Autriche de céder.

Et brusquement, alors que l’Europe cherche un terrain d’entente refusé par l’Allemagne, le 28 juillet l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. Dès lors, les évènements se précipitent ; le 29, la Russie, qui craint l’écrasement de la Serbie mobilise quatre arrondissements militaires et avertit l’Allemagne que cette mesure n’est nullement dirigée contre elle, mais ne fait que répondre aux mouvements de troupes autrichiennes en Galicie. L’Allemagne répond alors que si les préparatifs militaires de la Russie ne sont pas arrêtés, elle mobilisera. C’est un ultimatum que pose Guillaume II lui-même au Conseil de Postdam du 29 juillet ; il renie ainsi les engagements de von JAGOW de ne pas faire d’objection à la mobilisation russe en Galicie. En un mot, Messieurs, il déclenche la guerre.

En même temps l’Allemagne sonde l’Angleterre, et Sir Edward GREY répond que son pays agira selon les circonstances.

En fait, nous le savons, l’Allemagne avait déjà mobilisé en secret contre la France, depuis le 25 juillet, prouvant ainsi par des actes son intention d’entrer en guerre.

Le 31, à la première heure, l’Autriche lance son décret de mobilisation générale. La Russie répond par la même mesure quelques heures plus tard. Alors nouvel ultimatum de l’Allemagne à la Russie : sommation de démobiliser dans les douze heures.  Le 1er août, la guerre est déclarée à la Russie. La France, devant l’attitude de l’Allemagne, ordonnait elle aussi la mobilisation générale, le même soir du 1er août, à 3h40.  Or, aucun prétexte de conflit n’existait encore entre les gouvernements français et allemand.

Bien que notre territoire eût été violé en de nombreux points depuis le 25 juillet, nous laissions nos troupes de couverture à 10 kilomètres de la frontière.

L’Allemagne fut alors forcée d’imaginer un lancement de bombes par avions à Nuremberg et à Karlsruhe et, pour ce fait qu’aucun témoin ne vit jamais, et qu’elle-même a démenti depuis, elle nous déclare la guerre le 3 août à 6 h 45 du soir.

L’Italie, qui n’avait même pas été informée des intentions de l’Autriche à l’égard de la Serbie, nous fit savoir que, vu le caractère agressif de la guerre, elle ne pourrait y participer.

D’autre part, un grave évènement était survenu : la violation par les troupes allemandes de la neutralité du Luxembourg garantie par le traité de 1867 et la violation de la neutralité Belge garantie par le traité de 1831.

L’Angleterre, qui avait demandé à la France et à l’Allemagne si elles entendaient respecter la neutralité de la Belgique, avait reçu l’engagement formel de la France. Mais l’Allemagne, d’abord muette, avait envoyé un ultimatum à la Belgique pour le passage de ses armées vers la France et répondait à l’Angleterre que l’invasion de la Belgique était commencée et que des raisons stratégiques ne permettaient pas d’arrêter la marche des forces allemandes :

« C’est là, dit M. von JAGOW, une question de vie ou de mort pour l’Allemagne. »

Là-dessus, l’ambassadeur d’Angleterre, après avoir donné délai jusqu’à minuit, réclama ses passeports (4 août).

Et c’est alors que le chancelier BETHMANN-HOLLWEG, furieux, dit à l’ambassadeur ces paroles célèbres : « Vous allez donc nous faire la guerre pour un chiffon de papier ! »

Quelques jours après, la guerre était engagée entre l’Allemagne, l’Autriche d’une part et la France, la Russie, l’Angleterre, la Belgique, la Serbie, le Monténégro d’autre part. Le Japon se joignit à nous le 15 Août.

 

LA  MOBILISATION

Les grandes opérations actives ne commencèrent qu’après l’achèvement complet de la concentration, vers le 15 Août.

Mais jusqu’à cette date, l’histoire enregistre cependant une série d’opérations importantes qui eurent une grande influence militaire et morale sur le développement de la campagne.

Ce sont, d’une part, l’entrée des Français en Alsace, la conquête des cols des Vosges, puis la retraite de Mulhouse ; d’autre part, la prise de Liège et l’avance rapide des Allemands en Belgique.

Ces opérations, entreprises en France à l’aide de nos troupes de couverture, furent conduites sur la Meuse par des forces allemandes plus considérables et déjà organisées, quoique hâtivement, ce qui leur permit de commencer l’invasion méthodique de la Belgique.

La nation belge, dont l’honneur venait d’être si noblement défendu par le roi ALBERT, le conseil des Ministres et le Parlement, allait subir les plus cruelles douleurs de la guerre allemande et une longue et dure oppression.

 

  • LA MOBILISATION EN FRANCE.

Déjà, durant la crise diplomatique, des mesures sages avaient été : les quais d’embarquement s’étaient garnis de wagons, les ponts avaient été surveillés, les régiments partis aux camps d’instruction avaient rejoint leurs garnisons, les permissionnaires étaient rentrés en hâte.

Le 31 juillet, à 2 heures de l’après-midi, les Allemands cessèrent d’envoyer les trains vers la France et à 3 heures ils coupèrent les voies et le télégraphe.

Le Ministre de la guerre envoya vers 6 heures l’ordre de commencer les transports des troupes de couverture.

Pendant une dizaine de jours, notre couverture (2e, 6e, 20e, 21e et 7e corps) allait avoir à remplir, face à l’ennemi, une mission de surveillance.

La France entière, derrière elle, allait se mobiliser.

Et, en effet dans le silence des moissons hautes, abandonnant le travail en pleine ardeur, la France, notre belle et chère France, courait aux armes :

Le 1er Août, dans la nuit des villages, à grande volée, le tocsin avait sonné…

Alors, en chacun de nous, après un bref saisissement vite contenu, monta comme une résurrection : une sereine conscience du devoir surgit des âmes et le peuple français, trahi durant de trop longues années par ceux qui lui désapprenaient la guerre, fit ce miracle d’union qui étonna non seulement l’Europe, mais le Monde tout entier…

Toutes les énergies qui, la veille encore, se dispersaient selon les occupations diverses, les opinions, les aptitudes ou les passions, se cristallisèrent brusquement en une volonté unique, un désir ardent, une seule vision : la frontière !

Ces heures émouvantes que nous avons vécues furent comme les battements précipités du cœur de la Patrie.

Du 2 au 5 Août s’effectuèrent, non seulement les transports des troupes de couverture, mais les transports ayant pour but d’amener les hommes isolés vers les Centres de mobilisation.

Le 5 à midi commencèrent les transports nécessaires pour la concentration des armées. Ils ne devaient plus s’arrêter que pour s’achever le 18 à minuit.

Le chemin de fer remplissait avec un plein succès la formidable tâche qui lui avait été assignée. Tous les trains arrivèrent dans les délais prévus par l’horaire militaire et la mobilisation s’acheva dans le plus grand ordre et le plus grand calme.

 

  • LA MOBILISATION EN ALLEMAGNE

L’Allemagne, décidée depuis longtemps à la guerre, fit bien avant nous ses préparatifs.

Trois semaines avant les hostilités, la Direction des chemins de fer d’Alsace – Lorraine insistait pour la restitution immédiate de ses wagons ; le 25 juillet, les garnisons de Strasbourg et de Sarrebourg étaient consignées, les ouvrages d’art de la frontière mis en état d’armement ; le 26, ordre aux chemins de fer de se préparer ; le 27, opérations locales de mobilisation et de réquisition, avant – postes de couverture sur la frontière ; le 28, appels individuels de réservistes.

Puis les mesures se développèrent rapidement.

Le 31, L’état de «menace de guerre »   permit de prendre une journée d’avance sur la France. Six classes de réservistes furent rappelées et les transports de concentration, commencés en France le 5 à midi seulement, se poursuivaient déjà pour les corps d’armée éloignés de la frontière ; on pouvait ainsi brusquer l’attaque de Liège. En sorte que le

1er août au soir, au moment où ne faisions que mobiliser, l’Allemagne avait déjà, derrière Thionville et Metz, plus de 10 corps d’armée, y compris la couverture.

 

Messieurs, ma conférence sur les causes lointaines et immédiates de la guerre engagée par l’Allemagne contre la France est finie.

Dans une prochaine causerie je vous dirai très sincèrement ce que fut la guerre de mouvement dans notre pays, avant la bataille générale et celle des frontières ; enfin je vous ferai le récit, d’une façon plus complète, de la bataille de la Marne qui sauva non seulement notre Patrie, mais le monde tout entier.

Cette victoire, Messieurs, vous le verrez, est unique dans l’histoire militaire, car jamais rétablissement stratégique d’une telle ampleur n’avait été exécuté avec autant d’ensemble par de telles masses.

Pour terminer cet exposé déjà long, permettez-moi de vous dire ce que chacun sait, mais qu’il est bon de rappeler quelquefois, c’est que dans cette guerre la nation allemande s’est souillée de crimes abominables, de hontes inexpiables, qu’elle-même ne se pardonnera pas, quand elle aura échappé au délire qui l’étreint peut-être encore.

Terribles sont les blessures qu’elle nous a faites et que sa frénésie aurait voulu incurables ; cruelles sont les douleurs que nous avons souffertes par elle.

Mais nous ne souffrons guère moins de ce pitoyable avilissement d’une nation qui a tenu si longtemps une place d’honneur dans l’humanité et qui, apostate et félonne, abjura le credo qui lui avait un moment valu la maîtrise des esprits.

Parvenue trop rapidement, après des siècles d’impuissance politique, à une hégémonie incontestée, elle a été corrompue par le culte exclusif que, sur la foi de BISMARK, son fondateur, et des Hohenzollern, ses maîtres, elle a voué à la force brutale.

Elle a été hypnotisée par l’adoration de ses propres vertus et elle a exigé que les autres peuples, renonçant à leurs traditions saintes et foulant aux pieds leur dignité, tendissent docilement le cou à son joug, au bâton de ses officiers, à la férule de ses savants, aux ordres de ses banquiers.

Prétentions absurdes qui devaient un jour ou l’autre provoquer une révolte universelle.

Notre consolation à nous Français, ou plutôt notre gloire, dont nous sommes fiers, c’est de n’avoir pas dérogé à toute notre histoire.

L’épopée grandiose que nous avons vécue n’est en somme qu’un épisode du duel éternel d’Ahriman contre Ormuzd, de Satan contre Dieu, de la bestialité contre l’humanité.

Le roi ALBERT, se dévouant à la tête des Belges pour retarder la vague d’invasion, c’est LÉONIDAS aux Thermopyles.

La nation anglaise, sauvegardant la maîtrise des océans contre toutes les traîtrises des sous-marins, c’est la Grèce à Salamine, à Himère et à Mycale, victorieuse de XERCÈS le fou, qui fouettait la mer rebelle.

Les Américains, entrant en guerre pour un idéal de justice, ce sont de nouveaux Français se croisant pour délivrer la Terre Sainte.

La France de 1914 et de 1918, s’acharnant à la lutte contre l’envahisseur germain jusqu’à la délivrance de la Patrie, c’est le miracle renouvelé de toute son histoire : rappelons-nous CLOVIS à Tolbiac, CHARLEMAGNE contre les Saxons, PHILIPPE-AUGUSTE à Bouvines, HENRI IV, RICHELIEU et DANTON, sauvant notre pays de la bestiale servitude dont nous ont toujours menacés les sauvages d’Outre-Rhin. Ainsi les grandes lignes de l’histoire ne s’effacent jamais, malgré la diversité des âges et les progrès de la science.

Toutefois, Messieurs, l’Antiquité est dépassée par nos « poilus français » ; nos historiens et nos poètes pourront célébrer des héros de la Grande Guerre, qui, sur terre, sur mer et dans les airs auront laissé bien loin derrière eux tous les héros de pentarque.

 

À Rowno, mars 1920.

Le Général R. VIARD, commandant le Centre d’instruction de Rowno.