Janvier 1988 / Avril 1988 – Opération « ARIANE » –

Classé dans : OPEX | 0

LA FRÉGATE « MONTCALM » EN OPÉRATION EXTÉRIEURE

DANS LE GOLFE PERSIQUE

Le golfe persique et le détroit d’Ormuz.

Une partie du pétrole consommé sur la planète passe par le détroit d’Ormuz. Un blocage ou des restrictions de navigation de celui-ci entraîne de facto une crise internationale. C’est ce qui s’est passé en 1987/1988.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le Moyen-Orient est une poudrière. Les conflits qui étaient plutôt cantonnés du côté Méditerranée vont en ce début des années 80 se déplacer vers le golfe persique.

Le 16 janvier 1979, le Shah d’Iran est contraint à l’exil et le 1er février 1979, l’ayatollah KHOMEINI met en place une république islamique. Le 20 août 1980, profitant de l’instabilité qui règne en Iran, Saddam Hussein qui dirige l’Irak attaque par surprise ce pays. De nombreuses dissensions et litiges de frontière avec l’Iran sont à l’origine de cette guerre. De conflit régional, celui-ci va devenir international lorsqu’en 1986 l’Iran décide de s’en prendre aux intérêts économiques des pays du golfe persique et cherche à intimider les gouvernements des pays occidentaux qui lui sont hostiles. Les navires de commerces transitant par le détroit d’Ormuz sont attaqués par l’aviation et la marine iranienne ainsi que par les gardiens de la révolution – les Pasdarans- sur des vedettes rapides. Des mines sont également larguées dans le détroit d’Ormuz. Deux pays sont particulièrement ciblés : les USA désigné « grand Satan » par l’Iran et la France désigné « petit Satan » car elle vend des armes à l’Irak et sa politique au Liban déplaît fortement à l’Iran. Le 28 janvier 1986, le pétrolier « d’Artagnan » est attaqué ; le 4 mars c’est au tour du pétrolier « Chaumont » puis le pétrolier « Brissac » le 13 septembre. Le détroit d’Ormuz étant un passage particulièrement stratégique, la diplomatie internationale en général et française en particulier entre en scène pour mettre fin à ces attaques mais rien n’y fait. Le 17 juillet 1987, le porte-conteneurs français « Ville d’Anvers » est gravement endommagé. C’est l’attaque de trop. Le gouvernement français rompt ses relations diplomatiques avec l’Iran. Il ordonne à la Marine Nationale de protéger les navires de commerce français transitant dans le golfe persique et de préparer des mesures de rétorsions si de nouvelles attaques de bâtiments français se produisent. D’autres pays dont les USA et le Royaume-Uni font de même.

La Marine Nationale met alors sur pied l’opération « Prométhée ». La Task force 623 (force opérationnelle 623) est créé. Elle est divisée en trois groupes :

  • Le task group 623.1 : composé d’une frégate et d’un aviso-escorteur ou d’un aviso, il est chargé de protéger les navires de commerce français. Cette opération sera appelée plus spécifiquement opération « Ariane».
  • Le task group 623.2 : composé du porte-avions « Clémenceau », de frégates de défense aérienne, de pétroliers-ravitailleurs et d’un sous-marin nucléaire d’attaque, il est chargé des mesures de rétorsion et d’assurer une pression militaire sur le gouvernement iranien.
  • Le task group 623.3 : composé de chasseurs de mines et d’un bâtiment de soutien logistique, il est chargé de déminer le détroit d’Ormuz et le golfe persique. Ce sera l’opération « Néréides».

La Task Force 623 est commandée par le contre-amiral Hervé Le PICHON. Elle est placée sous le commandement opérationnel du vice-amiral d’escadre Jacques LANXADE, commandant les forces maritimes en Océan Indien. Il sera remplacé en janvier 1988 par le vice-amiral d’escadre Guy LABOURERIEZ.

Le porte-avions « Clémenceau » appareille le 30 juillet 1987 de Toulon. Il n’y reviendra que 14 mois plus tard. Les autres bâtiments resteront entre 3 et 5 mois sur zone avant d’être relevés. Cette opération constitue pour la Marine Nationale l’une des plus importantes depuis la crise du canal de Suez en 1956 en termes de durée, d’éloignement des ports d’attaches et de bâtiments engagés (33).


La frégate ASM « Montcalm » en 1985 –

Elle porte le nom de Louis Joseph de Montcalm-Gozon, marquis de Montcalm (1712-1759). Lieutenant général des armées. Il fut le défenseur du Canada. Trois autres bâtiments de combat ont porté ce nom : une corvette cuirassée en 1868, un croiseur cuirassé en 1902 et un croiseur léger qui combattit pendant la seconde guerre mondiale avec les Forces Navales Françaises Libres. La frégate « Montcalm » arborait au mouillage le pavillon des FNFL à la proue et son équipage portait la fourragère à la couleur du ruban de la Croix de guerre 1914-1918 avec olive aux couleurs du ruban de la Croix de guerre 1939-1945.

A l’époque, j’étais second maître radiotélégraphiste (sergent) sur la frégate « Montcalm ». Mise en service en 1982 et désarmée en 2017, elle mesurait 140 mètres de long pour un tonnage de 4500 tonnes. Elle est la troisième d’une série de 7 frégates spécialisées dans la lutte anti-sous-marine. Dotée d’un sonar d’étrave et d’un sonar remorqué à immersion variable, de torpilles et de 2 hélicoptères WG 13 Lynx également équipés d’un sonar et de torpilles, elle était un  redoutable adversaire pour un sous-marin. La lutte anti-surface était assurée par 8 missiles Mer-mer 40 Exocet et un canon de 100 mm sous tourelle ; la protection antiaérienne par une rampe de missiles anti-aériens Crotale et la tourelle de 100 mm. Deux canons Oerlikon de 20 mm sur affut et 4 mitrailleuses de 12.7 mm sur affut également complétaient sa défense rapprochée. Les moyens de détections et de transmissions étaient conséquents. Les deux hélices étaient entraînées soit par deux diesels Pielstik de 5200 chevaux soit par deux turbines à gaz Roll Royce Olympus TM3B (dérivée des Olympus 593 du Concorde) de 26 000 chevaux. Les 2 turbines à gaz permettaient de passer, bâtiment stoppé et turbines stoppées, de 0 à 30 nœuds (56 km/h) en moins de 3 minutes permettant ainsi de surprendre un sous-marin. Si l’on ajoute à cela une ergonomie bien pensée des locaux-vie pour les 250 marins, cette série de frégate fut une réussite. Les trois dernières encore en service et à bout de souffle, il faut bien le dire, devraient être désarmées vers 2020-2021


Le pavillon spécialement conçu pour la mission –

Il a été arboré dans la mature durant toute la mission. Montcalm avait une devise venant de l’histoire de sa famille : « Mon innocence est ma forteresse « et « Draconis extinctor » (le vainqueur du dragon). Le dragon sur le pavillon rappelle le Marquis de Montcalm et la hallebarde, arme de parade auprès des hautes autorités, la Marine Nationale.

En cette rentrée de septembre 1987, l’ambiance était donc plutôt fébrile sur le « Montcalm ». L’équipage, sous les ordres du capitaine de vaisseau Jacques MEHEUT, vient d’apprendre qu’il participerait à l’opération Ariane. Le « Georges Leygues » qui avait appareillé le 22 juillet pour rallier le golfe persique sera relevé par le « Dupleix » le 12 octobre et le « Montcalm » prendra sa place le 24 janvier 1988. Mais avant pas question de se tourner les pouces. Le « Montcalm » appareillera le 4 septembre pour une mission opérationnelle d’un mois en Mer Noire, puis enchaînera avec un entraînement avec d’autres bâtiments de l’escadre de la Méditerranée (Force d’Action Navale en 1992) et un stage au centre d’entraînement de la flotte axé sur la prochaine mission.

Le « Montcalm » appareille le 7 janvier 1988 de Toulon en direction de Port Saïd pour franchir ensuite le canal de Suez le 13 février. La frégate fera escale à Djibouti le 17 janvier. La mission commence vraiment. Comme il n’est pas question d’action anti sous-marine dans le golfe persique pour des raisons de sécurité, les torpilles sont débarquées. Le local libéré sera transformé en poste équipage. En effet, devant la menace des mines, les locaux situés sous le pont principal seront évacués. Les affuts des canons de 20 mm et des mitrailleuses de 12.7 seront protégés par des sacs de sable renforçant l’aspect guerrier du « Montcalm ».


L’aviso « Drogou »

Petite unité de 1100 tonnes et de 80 mètres de long. Il a été conçu pour protéger les eaux côtières françaises. Il n’était pas idéalement adapté pour opérer dans le Golfe persique. La vie y était rude pour son équipage de 90 marins.

Nous quittons Djibouti le 20 janvier et nous relevons la frégate « Dupleix » le 24 janvier 1988. Avec l’aviso « Drogou », nous formons alors le task group 623.1.

Le 25 janvier, nous escortons notre premier pétrolier : le « d’Artagnan ». Nous entrons dans le détroit d’Ormuz le pétrolier devant, nous derrière, suivi par d’autres navires de commerce qui veulent profiter de la couverture de la frégate. Rapidement, les Iraniens se montrent belliqueux. Les radars de tir des batteries de missiles côtières nous engagent brièvement. Ils n’oseront pas aller jusqu’au tir de missiles. Probablement que la menace que représente le porte-avions « Clémenceau » et les porte-avions américains les en dissuadent. Néanmoins, les systèmes de défense anti-missiles sont activés et nous avons revêtus la tenue de sécurité avec combinaison, gants, cagoule et lunettes de protection. Une multitude de petites embarcations sont signalées sans que l’on sache vraiment s’il s’agit ou non de Pasdarans. L’une des trois frégates iraniennes de la classe Alvand viendra également nous reconnaître à faible distance. Ces frégates participaient la nuit aux attaques de navires de commerce qui naviguaient seuls. On aurait bien aimé leur dire bonjour au petit matin avec notre canon de 100 mm mais malheureusement c’était interdit. L’ouverture du feu n’était autorisée qu’en cas d’attaque sur nous ou sur le navire escorté. Deux de ces trois frégates seront détruites par l’US Navy le 18 avril après que la frégate « USS Samuel B. Roberts » ait été gravement endommagée par une mine. Finalement cette première escorte se passera sans heurts même si la pression des Iraniens est bien présente.

Nous effectuerons ainsi une dizaine escortes dans les mêmes conditions et 34 passages du détroit d’Ormuz. En général, nous escortions des pétroliers de l’entrée du détroit d’Ormuz jusqu’au terminal pétrolier de Ras Tanoura (Arabie Saoudite). Pendant que le pétrolier chargeait, nous patrouillions dans le golfe persique ou faisions des exercices avec les navires de combat des marines alliées. C’est au cours d’une de ces patrouilles que, le 18 février, nous avons découvert une mine dérivante qui a été détruite par les deux plongeurs démineurs embarqués pour la mission. Le pétrolier chargé, nous l’accompagnions jusqu’à sa sortie du détroit d’Ormuz. Une escorte durait entre 4 et 5 jours. Sur les 70 navires escortés durant l’opération Ariane, aucun ne sera attaqué. Par contre, les navires isolés le seront jusqu’à l’été 1988.

Le 8 février, nous effectuons une première escale de 4 jours à Dubaï (Émirat Arabes Unis). C’est l’occasion de ravitailler en carburant et en vivres et de prendre un peu de repos. Pour la grande majorité d’entre nous, nous découvrons une autre culture. Par la suite, nous effectuerons des escales à Abu Dhabi (Émirat Arabes Unis), Al Jubai (Arabie Saoudite) et Mascate (Sultanat d’Oman). Le 12 avril, après avoir été relevé par la frégate « Jean de Vienne », nous faisons route sur Djibouti que nous atteignons le 15 avril. Le réembarquement des torpilles effectué, nous redevenons une frégate ASM. Après un dernier passage dans les bars de la place Menelik, nous quittons Djibouti le 20 avril et passons le canal de Suez le 25 avril. Après 112 jours d’absence dont 80 passés dans le golfe persique, nous accostons le 28 avril aux appontements de Milhaud dans l’arsenal de Toulon.

Par la suite, j’effectuerai quatre autres missions dans le Golfe Persique avec les frégates « Jean de Vienne » et « La Motte-Picquet ». En 1991, l’une d’elle sera plus marquante car le « Jean de Vienne » participera à l’opération « Désert Storm » (libération du Koweït). Il sera le seul bâtiment de la Marine Nationale à être placé sous le commandant opérationnel des Américains qui dirigeaient la coalition. Mais ceci est une autre histoire…

Philippe CARRIOT
Vice-président du Groupement des ACVG
de  l’Union Fédérale Dijon Métropole-Sud et Est Côte d’Or

 

 

Un cargo échoué dans le sable ? –

Non, il se trouve dans un bras du canal de Suez parallèle au nôtre près d’Ismaïlia.

 


 

La frégate « Montcalm » à quai à Al Jubail (Arabie Saoudite) –

 


Le bâtiment de commandement et de ravitaillement « Marne »

C’était le navire de l’amiral commandant les forces maritimes en Océan Indien. Aujourd’hui, le quartier général de l’amiral se trouve sur la base navale française d’Abu Dhabi.

Le « Montcalm » escorte le bâtiment de commandement et de ravitaillement « Marne » et le pétrolier « Esso Languedoc » –


L’un de deux hélicoptères WG 13 Lynx du bord –

Dans le golfe persique, il volait avec deux missiles AS12 à gauche et un lance-leurre à droite. Une mitrailleuse AA 52 pouvait être montée en sabord dans la partie cargo de l’hélicoptère.

 


Pétrolier attaqué au lance-roquette RPG7 par les Pasdarans

2 marins périront et 9 autres seront blessés.
Les Iraniens visaient principalement la passerelle et les locaux-vie.

 

Ravitaillement en poissons frais auprès d’un boutre de pêcheurs –

 

 

 


 

Entraînement avec la frégate américaine « USS Jack Williams. » –

 


Entraînement avec la frégate américaine « USS Samuel B. Roberts » –

Le 14 avril 1988, elle sera gravement endommagée en heurtant une mine. 10 marins seront blessés. Le 16 avril, la frégate « Jean de Vienne » sera elle aussi confrontée à un champ de mines. 12 mines seront neutralisées par les plongeurs démineurs.

La frégate iranienne « Alvand »  Photo US Navy

 


Le Montcalm s’interpose entre le pétrolier « ESSO Languedoc » et deux vedettes des Pasdarans qui sont menaçantes –

25 nœuds et l’équipage au poste de veille renforcée. Après, c’est le poste de combat !
La photo est extraite d’une vidéo prise depuis la passerelle de l’ « ESSO Languedoc ».