Louis René VIARD est détaché à l’armée polonaise à partir du 13 avril 1919 aux conditions fixées par l’accord du 15 janvier 1919 entre le gouvernement et le Comité National Polonais. Il est affecté au commandement du 7° Régiment de Chasseurs Polonais à Attigny (Vosges) le 10 avril 1919. Il embarque en chemin de fer le 7 mai 1919 et arrive en Pologne le 10 mai.
En secteur avec son régiment, il passe au Sud de la Prusse orientale du 15 mai au 26 juillet. Embarqué en chemin de fer avec son régiment le 27 juillet pour la Gallicie orientale, il débarque à Tarnopol le 30 juillet et prend part à l’offensive des mois d’août, septembre et octobre qui porte l’armée polonaise sur le Goryn en Ukraine (Russie).
Promu Général de Brigade le 24 septembre 1919, il est affecté au commandement de l’Infanterie Divisionnaire de la 3° Division de Chasseurs Polonais.
En février 1920, par Ordre Général n°9 de la Mission Militaire Française en Pologne, il commande le Centre d’instruction de Rowno.
La mission militaire française, présente en Pologne depuis avril 1919 et jusqu’en 1932, était commandée alors par le Général HENRYS, sous les ordres de qui se trouvait, entre autres, le Capitaine de GAULLE.
Le Général WEIGAND faisait partie d’une mission interalliée qui n’a été présente en Pologne qu’en juillet-août 1920.
AVANT – PROPOS
Les récents évènements de Pologne, la marche foudroyante des armées des Soviets jusque sous les murs de Varsovie, la contre-offensive victorieuse déclenchée par le Maréchal PILSUDSKI sur la Vistule, en un mot l’imminence du danger bolchevique, ont secoué l’indifférence générale et attiré l’attention du monde sur l’importance capitale de la «Question polonaise ». Dans tous les parlements, dans tous les journaux, cette question a été longuement traitée et discutée ; une des principales causes d’étonnements et pas la moindre, a été de constater comment la Pologne était peu préparée à la guerre et avait une armée peu entraînée pour résister à la vague bolchevique ; et pourtant, la France entretenait là-bas une mission, et il existait une Armée HALLER formée à la Française.
Il ne nous appartient pas de juger l’œuvre de la Mission ; quant à l’Armée HALLER, elle avait cessé d’exister depuis plusieurs mois déjà. Quels services aurait pu rendre cette armée pendant les derniers évènements si elle n’avait pas été prématurément dissoute, voilà ce que nous nous proposons d’étudier dans ces quelques pages.
Nous donnerons d’abord un rapide aperçu sur l’historique de cette armée, sa composition, son rôle moral et militaire dans le pays, et montrerons quel facteur précieux d’influence Française elle aurait pu être en Pologne. Nous terminerons en exposant quelques idées au sujet du rôle qui nous semble incomber à l’avenir au personnel français dans la création et l’organisation de l’armée polonaise.
FORMATION DE L’ARMÉE HALLER EN FRANCE.
Conditions dans lesquelles elle s’est formée.
Au mois d’Août 1914 à Paris, et dans diverses villes de France, deux mille Polonais s’étaient engagés dans notre Légion Étrangère ; c’étaient un cinquième de la colonie polonaise en France.
Puis, peu après, les volontaires polonais, portant l’étendard amarante que les Dames de Bayonne (Amérique) avaient brodé pour eux, se distinguaient dans l’Argonne et surtout sur le front d’Arras où ils obtinrent de nombreuses citations.
Cependant les Polonais avaient une ambition plus haute, ils voulaient former une armée nationale autonome en France, ouverte aux Polonais d’Europe et d’Amérique.
L’idée de créer une armée polonaise en France fut suggérée par le Comité National Polonais de Paris, qui comprenait parmi les personnages les plus importants ; le Comte ZAMOISKI, Monsieur POTOCKI Antoine, Monsieur GARIOWSKI (Directeur du journal « Polonia» paraissant à Paris) et le capitaine RODSYSKI.
Ce comité pensait que le nombre de Polonais qui prendraient part à la lutte, ou qui étaient susceptibles de s’enrôler au service de la cause des Alliés, était assez élevé pour justifier l’organisation d’un corps distinct. Il pensait également que les intentions des gouvernements alliés, au sujet de la restauration de l’État Polonais, ne sauraient mieux s’affirmer qu’en permettant aux sujets Polonais de combattre partout sous leur drapeau national.
Un décret du Président de la République Française décida de la création de l’Armée Polonaise. Le Général ARCHINARD fut placé à la tête de la Mission Franco-Polonaise à Paris, chargée d’organiser l’armée polonaise.
Les volontaires Polonais affluant de tous cotés, les puissances alliées permirent aux Polonais servant sous leurs drapeaux de passer dans la nouvelle armée polonaise. Des missions franco-polonaises partirent pour les États-Unis et pour le Brésil, afin d’organiser le recrutement parmi les millions de Polonais établis dans ces pays.
Les villes de Paris, Verdun, de Nancy et de Belfort, offrirent un drapeau aux quatre premiers régiments. Le Président de la République Française remit ces drapeaux aux troupes polonaises sur le front de Champagne.
Le Général HALLER, chef d’une des deux Légions Polonaises autrichiennes, formées le 2 août 1914, en Pologne, voyant la Russie menacée par le Bolchevisme et momentanément incapable d’entreprendre quoi que ce soit contre la Pologne, quitta son pays, traversa toute la Russie en révolution, rejoignit les troupes françaises à Mourmansk et se transporta en France où il se mit à la disposition du Comité National Polonais qui lui donna le commandement de toutes les troupes polonaises en Europe et en Asie ( Juillet 1918 ).
L’Armée Polonaise commença alors à s’organiser.
La première division, moins l’Artillerie, fut formée d’engagés volontaires provenant :
-de la Compagnie de Bayonne de la Légion Étrangère : 15
-des Français d’origine polonaise servant dans les régiments Français : 300
-des Polonais restés en France en août 1914 : 500
-des Polonais servant dans les Brigades russes en France : 1000
-des Polonais, qui, réquisitionnés par les Allemands pour travailler dans leurs mines, réussirent à s’évader et à gagner la France par la Hollande : 3000
Cette division commandée par le Général VIDALON, entra en ligne sur le front français, en mai 1918, et prit part à de nombreux combats dans les Vosges et en Champagne. Sa conduite au feu fut excellente.
Les autres divisions reçurent beaucoup plus tard (nov. 1918) des engagés volontaires provenant :
-des Polonais faisant partie des prisonniers allemands : 10.000
-des émigrés Polonais d’Amérique : 20000
-des Polonais faisant partie des prisonniers autrichiens d’Italie : 15000
Comme on vient de le voir, les éléments devant constituer la future Armée Polonaise étaient très disparates. La tâche qui allait incomber aux officiers français instructeurs ne manquait ni d’intérêt ni de difficultés. Le décret du Président de la République auquel il a été fait allusion plus haut, stipulait que les dispositions en vigueur dans l’Armée Française concernant l’organisation, la hiérarchie, l’administration et la justice militaire seraient applicables dans l’Armée Polonaise.
La I° Division, avant son départ au front, fit son instruction dans les centres de Laval, Sillé-le-Guillaume et Mayenne.
L’organisation et l’instruction des autres unités ne commencèrent qu’après l’armistice dans les conditions suivantes :
Au fur et à mesure de leur arrivée, les contingents polonais étaient versés dans des unités françaises devant être dissoutes lorsque les effectifs polonais seraient suffisamment nombreux et instruits pour se substituer à elles. Cette transformation demanda quatre mois, et, en mars et avril, les unités polonaises furent définitivement organisées. Elles prirent un numéro spécial et s’administrèrent par leurs propres moyens sous le commandement des officiers français. En effet, après un accord passé entre les gouvernements français et polonais (accord du 15 janvier 1919) il fut décidé que le commandement des unités polonaises jusqu’à la compagnie incluse, serait exercé par des officiers français volontaires. Il y aurait en outre, suivant des proportions adoptées, une certaine quantité de spécialistes français comprenant des s/officiers et hommes de troupe. Ce contrat stipulait dans quelles conditions s’engageaient les volontaires pour servir en Pologne. L’appel qui fut fait dans l’armée française pour réaliser ce programme, obtint le plus grand succès, et c’est en masse, on peut le dire, que les cadres se présentèrent.
Toutes ces divisions furent groupées en une armée, sous le commandement en chef du Général HALLER, et l’Armée Polonaise organisée en France prit le nom d’Armée HALLER.
Le transport en Pologne de cette armée commença dès avril 1919. Il fut effectué par voie ferrée à travers l’Allemagne.
L’arrivée en Pologne de l’Armée HALLER suscita un mouvement patriotique très grand ; les populations de Pologne, sentant que cette jeune armée était une force, fondaient sur elle les plus beaux et les plus légitimes espoirs.
VALEUR DE L’ARMÉE HALLER
1°) Cadres français
L’Armée HALLER prise dans son ensemble constituait une armée de premier ordre. Les officiers français, qui furent envoyés, sur leur demande, dans cette armée avaient tous fait campagne contre l’Allemagne. Leur instruction militaire était parfaite au combat. À une aussi dure école, leurs qualités de courage, d’abnégation, de dévouement s’étaient fortifiées. Ils étaient donc bien préparés pour la tâche qui leur était confiée : commander des troupes en campagne. La presque totalité des officiers venus dans l’armée HALLER avaient un idéal : participer à la restauration de la Pologne, et pour cela créer une armée Polonaise forte. Ils se mirent à la besogne de tout cœur et d’excellents résultats couronnèrent leurs efforts.
On a reproché aux officiers français de n’avoir pas eu toujours en Pologne l’attitude qu’il convenait. C’est une injustice, car il n’est pas permis de juger l’ensemble d’après quelques cas isolés. Les officiers, dont la conduite a pu laisser à désirer, sont en nombre infime ; les autres ne sont nullement atteints par de telles critiques.
2°) Hommes de troupe français.
Il n’est malheureusement pas possible de porter une appréciation aussi favorable sur tout le personnel « troupe » venu en Pologne. À coté de jeunes gens, s/officiers et hommes de troupes intelligents, instruits, dévoués, travailleurs, un très grand nombre de soldats de la classe 1919, en particulier, n’ayant pas vu le feu, furent pour l’Armée HALLER, une déplorable acquisition. Ces soldats n’ayant en général reçu qu’une éducation et une instruction militaires insuffisantes, rendirent plus difficile la tâche des officiers français dans les unités, au lieu de la leur faciliter. Ces hommes ne furent pas choisis ; tous ceux qui demandèrent à partir en Pologne obtinrent satisfaction. L’exemple des soldats français fut souvent funeste et nous dûmes réagir énergiquement pour enrayer le mal qu’ils pouvaient faire par le spectacle lamentable de leur tenue.
3°) Cadres Polonais
Parmi les officiers de cette nouvelle armée, bien peu avaient servi avec le grade d’officier dans les armées russes, autrichiennes ou allemandes. Nous dûmes, après leur avoir fait suivre des cours, nommer nous-mêmes la majeure partie des officiers subalternes, en les choisissant parmi d’anciens s/officiers ou parmi des jeunes gens ayant terminé leurs études secondaires.
Malheureusement ces cours de perfectionnement ayant été trop écourtés, en raison du peu de temps dont nous disposions, ces officiers de provenance très différentes, manquaient à la fois d’homogénéité et d’instruction militaire. Toutefois, étant tous animés de très bons sentiments, ils auraient pu, en suivant des cours très sérieux et à notre contact devenir d’excellents officiers.
4°) Hommes de troupe Polonais
Les hommes de troupe polonais avaient une valeur très différente suivant l’armée dont ils provenaient. Ceux qui sortaient de l’armée autrichienne et surtout de l’armée allemande étaient d’excellents soldats, disciplinés, consciencieux, vigoureux. Les émigrés d’Amérique, débrouillards, curieux, intelligents, possédaient un caractère frondeur, frisant souvent l’indiscipline.
En général, tous ces engagés étaient animés d’un excellent esprit, leur valeur combative était bonne et avec de l’entraînement et une solide instruction, ils devaient faire des soldats de tout premier ordre.
L’ARMÉE HALLER EN POLOGNE
À leur arrivée en Pologne, les divisions furent placées dans des casernes, dans des forteresses, pour y parfaire leur instruction.
Une division, la 6°, fut engagée dès son arrivée dans la région de Lemberg, où les Ukrainiens avançaient victorieusement. En peu de temps cette division, bousculant l’armée ukrainienne, progressait de plus de 100 kilomètres et dégageait Tarnopol. Vers le mois d’août 1919, d’autres divisions de l’armée HALLER participèrent à une offensive de grande envergure ayant pour but de dégager complètement la Galicie orientale et la Volhynie et de donner le Zbrucz comme frontière à la Pologne. Toutes ces divisions se firent remarquer par leur mordant, leur endurance et leurs sérieuses qualités manœuvrières. On parla dans toute la Pologne de la bravoure, du courage Français. Le sang d’officiers et de soldats français coula en Galicie. Fin juin 1919, on trouvait en Pologne les première, deuxième, troisième, sixième et septième divisions Polonaises plus une division d’instruction. La quatrième division était à Odessa et la cinquième en Sibérie.
Vers le mois de septembre, les Français passèrent le commandement de leurs unités à leurs camarades polonais, et restèrent près d’eux comme conseillers techniques.
En octobre, par ordre du chef de l’état polonais, l’armée HALLER fut dissoute. On répartit les divers régiments d’une division dans d’autres divisions, on leur donna de nouveaux numéros, de nouveaux drapeaux ; l’armée HALLER avait vécu.
Les officiers français quittèrent leurs régiments et se rassemblèrent par divisions pour attendre de nouvelles affectations que devait leur donner le général chef de la Mission Militaire Française en Pologne. Ils attendirent jusqu’en avril 1920.
DISSOLUTION DE L’ARMÉE HALLER
Impression sur les cadres français.
La dissolution de l’armée HALLER produisit sur les cadres français une impression désastreuse. La désillusion fut grande de voir finir si vite et après des débuts encourageants un rôle dont nous nous étions fait une si haute idée. C’était, nous le savions, le premier pas officiel dans une lutte constante, mais sournoise, contre l’influence Française, influence qui, par la troupe, dont les officiers étaient très aimés, pénétrait jusqu’au cœur de la population avec plus d’efficacité qu’elle ne le faisait par les nombreux organismes officiels de la mission de Varsovie.
Impression sur les cadres polonais.
Les officiers polonais de l’Armée HALLER s’étaient trouvés très heureux avec les officiers français, et s’étaient pliés sans trop de difficultés aux exigences du métier que doivent accomplir des sous-ordres. Ils avaient attendu néanmoins avec impatience le jour où ils pourraient voler librement de leurs propres ailes, aussi est-ce avec satisfaction que, lors du passage au 2° stade, ils avaient pris le commandement des unités. La nouvelle de la dissolution de l’armée HALLER les atterra. Jamais, en effet, ils n’avaient supposé que leur armée put être dissoute ; ils pensaient que « l’Armée Bleue » formerait le noyau de la future armée nationale. Ils éprouvaient en même temps un vif dépit de se voir ainsi supplanter et de pouvoir supposer que des officiers de l’armée locale, sans instruction militaire aucune, et ne devant leur avancement souvent scandaleux qu’à des influences politiques, pourraient venir leur enlever leur commandement et jeter le trouble dans leurs unités, détruisant la méthode française sans pouvoir la remplacer par d’autres méthodes au moins équivalentes.
Certains officiers polonais qui voulurent faire preuve d’indépendance et conserver le règlement français, furent impitoyablement punis, tel ce commandant de compagnie qui, présentant son unité à un général selon les méthodes françaises, eut quinze jours d’arrêts. Certains officiers polonais donnèrent même leur démission.
Impression sur la troupe.
Lors du passage au 2°stade, les soldats polonais avaient vu partir avec regrets les officiers français ; ils avaient en effet su apprécier leurs compétences, leur bienveillance, leur justice et leur honnêteté.
La dissolution de l’armée HALLER les toucha profondément, mais pour d’autres raisons que leurs officiers. En premier lieu, ils virent leur solde diminuer et leur nourriture fort réduite. Puis, peu à peu, vinrent les commander les officiers de l’armée locale. Ces officiers n’aimaient pas l’armée HALLER, ils la jalousaient. Sans transition, ils firent manœuvrer leurs hommes à l’allemande et dans leurs rapports avec leurs inférieurs, ils supprimèrent de suite la familiarité bienveillante mais ferme à laquelle les soldats polonais avaient été habitués. Cette « Armée Grise », qu’ils n’aimaient pas, voilà qu’ils étaient absorbés par elle !
Ils ne comprirent pas, et accusèrent de faiblesse les Français qui s’étaient ainsi laissés dominer, eux les victorieux, les sauveurs de la Pologne et de la civilisation !
POURQUOI L’ARMÉE HALLER A ÉTÉ DISSOUTE.
La dissolution de l’armée HALLER a fait l’objet de nombreuses controverses. On a émis diverses opinions sur l’opportunité de cette dissolution. Quoi qu’il en soit, les causes semblent être exclusivement politiques. Elles résident avant tout dans l’antagonisme de deux partis ayant respectivement pour chefs HALLER et PILSUDSKI.
PILSUDSKI, Chef d’État, véritable dictateur réunissant dans sa main tous les pouvoirs civils et militaires, craignait la popularité toujours grandissante du Général HALLER. Il désirait ardemment, et cela dans un but d’intérêt personnel, que la base de sa future armée nationale soit formée, non par l’armée organisée en France, mais par la Légion, troupe toute dévouée à sa cause. En opérant ainsi, il devenait le seul organisateur de son pays et à lui seul devait aller la reconnaissance de tous. L’Armée HALLER était un obstacle, il fallait anéantir cet obstacle après l’avoir miné pendant de longs mois. Ce fut alors que commença cette campagne d’abord déguisée contre le personnel français. Puis la lutte devint plus ouverte. Déjà, le 20 juin 1919, un rapport politique du gouvernement de Varsovie, osa parler « du défaut de discipline extérieure qui est peut-être le résultat de l’éducation française ».
Le Général HALLER fut bientôt écarté du commandement, et PILSUDSKI tout puissant, en excellentes relations avec le chef de la Mission Militaire Française qu’il avait su se concilier, fit disparaître par décret l’Armée Bleue. Il s’attacha ensuite à éliminer les méthodes françaises qui l’auraient encore obligé à avoir recours à nous.
Petit à petit, il nous évinça ainsi sans difficultés sous l’œil bienveillant de la Mission.
Les méthodes autrichiennes, méthodes qui pourtant avaient été celles d’une armée toujours vaincue, prévalurent et quelques mois à peine après leur mise à pied, les officiers français, le cœur serré, purent voir défiler au « pas de l’oie » et l’arme sur l’épaule gauche les troupes qu’ils avaient formées « à la française ».
PILSUDSKI, nommé Maréchal de Pologne était à l’apogée de sa puissance. Il pouvait nous croire définitivement évincés. Mais il n’avait gagné que la première manche.
Les conséquences de cette politique personnelle, peu apparentes d’abord, finirent par se faire sentir et le désastre éclata au bout de peu de temps.
CONSÉQUENCES DE LA DISSOLUTION DE L’ARMÉE HALLER
En effet, malgré la haute direction de PILSUDSKI, l’armée polonaise, livrée à elle-même, sans commandement sérieux, sans chefs instruits, ne put faire face à l’attaque des bandes bolcheviques. Le matériel excellent que nous avions envoyé en Pologne ne put fournir le rendement escompté, parce qu’il fut mal entretenu et parce que personne n’en connaissait l’utilisation.
L’organisation et les services de l’arrière, si nécessaires à la vie des armées modernes, n’existaient pas.
Les états-majors ne surent ni prévoir ni diriger. Le commandement fut souvent très instable. Généraux et colonels ne gardaient leur commandement qu’en temps qu’ils avaient des protecteurs puissants et bien en cour au « Belvédère ». Le moral de l’armée et du pays était très inférieur.
Déserteurs et embusqués pullulaient. Au moment le plus critique, personne à l’arrière ne semblait se rendre compte de la gravité de la situation. D’innombrables officiers continuaient à parader dans les villes faisant sonner bien fort leur sabre et leurs éperons.
Au front, les Bolcheviques, véritables bandes qui auraient dû être arrêtées dès le début de l’offensive par des troupes de manœuvre amenées là où il le fallait, ne rencontrèrent partout qu’un rideau défensif incapable de résister. Partout, les Polonais se laissèrent manœuvrer et subirent l’ascendant de leur adversaire. En quelques jours, l’armée des Soviets fut aux portes de Varsovie et le commandement polonais impuissant semblait déjà accepter la défaite et une paix dont les résultats auraient été l’anéantissement de la Pologne.
Alors obligé de céder à l’opinion populaire, le Maréchal PILSUDSKI dut implorer le secours des officiers français qu’il avait si longtemps dédaignés. Ceux-ci, sous la direction du Général WEYGAND, intervinrent alors et du même coup, la victoire changea de camp.
CE QU‘IL FAUT FAIRE À L’HEURE ACTUELLE
La France a donc sa bonne part à la victoire polonaise. Le danger est conjuré, mais pour combien de temps ? L’Hiver, ce fameux général qui de tout temps a sauvé la Russie des Tsars, fera aussi le jeu de la Russie bolchevique, en lui donnant le temps de réorganiser ses forces, de recompléter ses divers approvisionnements et lui permettra, au printemps de rentrer en campagne.
Elle aussi, la Pologne, devra profiter de cette interruption des hostilités, pour mettre sur pied une armée entraînée et organisée.
Si approvisionnements en armes, munitions, vivres etc. manquent, la France les fournira ; quant aux éléments humains, ils existent en quantité. Il suffit au gouvernement polonais de lever les jeunes classes, faisant la chasse impitoyablement aux déserteurs et aux embusqués trop nombreux aussi. Ces éléments très hétérogènes, puisque malgré tout subsiste l’empreinte russe, allemande ou autrichienne, il faut les amalgamer d’après les principes uniques : principes français, que les instructeurs français sont prêts à leur inculquer. Surtout la politique doit disparaître de l’armée ; que cette armée soit une armée polonaise nationale et non une armée de partis ; et alors, sûre de pouvoir appuyer son bon droit par la force, la Pologne pourra tout espérer de l’avenir.
LES FRANÇAIS EN POLOGNE
Le rôle des Français en Pologne, dans cette reconstruction non seulement d’une armée, mais d’une Nation, est d’une importance capitale.
Étudier dans toutes ces ramifications les possibilités d’activité française, est un sujet trop vaste qui dépasse le cadre de cette étude. Seule l’armée nous occupe ici.
A ce point de vue, tout est à refaire. L’armée HALLER dissoute, et complètement dispersée et désagrégée, il est impossible de la reconstituer. Il n’y faut donc pas songer, surtout avec le nombre relativement restreint d’officiers français restant en Pologne. Aussi semble-t-il qu’actuellement toute notre activité doive porter sur l’instruction des cadres et des spécialistes. Que l’on supprime toute cette poussière de centres d’instruction qui a part certaines exceptions n’ont jamais donné de résultats, et que l’on organise sur le modèle français une École de Guerre, des grandes écoles d’officiers pour les différentes armes, des écoles de s/officiers et des écoles de gymnastique ( comme Joinville ) et de spécialités, écoles où on formera d’après les mêmes doctrines et les mêmes principes des officiers d’état-major, des officiers de troupe, des s/officiers, des moniteurs de gymnastique, ou des instructeurs de spécialités.
On le voit, c’est un gros travail, mais que nous entreprendrons volontiers, car, en travaillant pour la Pologne, c’est pour la France que nous travaillons et nous espérons, quand les résultats auront couronné nos efforts, que l’hostilité souvent non déguisée, dont fait preuve à notre égard l’élément officier polonais, disparaîtra petit à petit.
L’officier polonais, en effet enclin à respecter la force brutale, telle celle du militarisme allemand, ne nous apprécie guère au point de vue militaire. Pour lui, l’Allemagne a été vaincue non par les armes, mais par la révolution qui a désagrégé ses forces. Montrons notre supériorité militaire et imposons-nous moralement. Le reste du pays est déjà gagné à notre cause. L’aristocratie, de tout temps francophile, nous accueille très cordialement. Les autorités civiles sont généralement courtoises Les Juifs en général nous sont reconnaissants de leur avoir évité bien des malversations. Seul le Clergé semble nous faire grise-mine. Il nous considère comme une nation athée et surtout lui, qui est habitué à mener par la superstition la masse des paysans, craint que des idées nouvelles dont nous sommes les propagateurs, qu’une instruction un peu plus développée ne soustraient à son influence le peuple toujours si docile. Á lui aussi, montrons que le Français épris de justice respecte toutes les libertés et toutes les croyances.
LA MISSION MILITAIRE FRANÇAISE ET LE PERSONNEL FRANÇAIS DE L’ARMÉE HALLER.
Mais pour arriver à cette fin, il faut une direction qui a souvent manqué jusqu’alors. Il faut une coordination des efforts vers le même but. Il faut une union de tous les officiers restant en Pologne.
Il ne faut plus qu’ils continuent à s’ignorer, ou même à se considérer comme ennemis, comme cela existe entre certains officiers des bureaux et les officiers de l’Armée HALLER, ceux là ayant de bonnes places confortables dans la capitale et traitant de parents pauvres des camarades qui, moins favorisés par la chance ou appelés par le goût vers plus d’action, ont, pendant des mois, parcouru la Pologne en tous sens, sillonnant l’Ukraine ou allant, au bon plaisir de désignations souvent incompréhensibles faites par les bureaux, de divisions en divisions, de centre d’instruction en centre d’instruction, quelquefois par 20°de froid, empruntant des moyens de locomotions de fortune très dissemblables, logeant dans des chambres ne rappelant en rien celles du Bristol et ne mangeant pas toujours à leur faim.
Ces temps de discussions, sont, espérons-le, finis. Ici, comme partout, l’union fait la force ; c’est l’union seule, qui sous une direction compétente et éclairée, nous permettra d’acquérir l’ascendant moral nécessaire au travail gigantesque que nous entreprenons et désirons vivement mener à bien, à savoir la création et l’organisation d’une nation amie, forte et puissante, sur laquelle nous puissions toujours compter : la Pologne.
En dehors de toute sentimentalité, l’intérêt de la France l’exige, et c’est à cet intérêt que sont consacrés tous nos efforts et toute notre activité.
Manuscrit du Général L.R. VIARD, de la Mission Militaire Française en Pologne.